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LES FIANÇAILLES.

meilleurs amis du monde. Aussi Joe s’empressa-t-il de s’armer d’une plume afin d’aider son condisciple à exercer le prisonnier. Le jeu devint de plus en plus attachant. Néanmoins, Tom déclara bientôt que l’on ne savait jamais à qui « était le tour ». Il posa donc sur le pupitre une ardoise où il traça une ligne perpendiculaire,

— Si le cheval d’or va de ton côté, dit-il alors, tu pourras l’émoustiller et je le laisserai tranquille. Tant qu’il ne passera pas la ligne, tu ne t’en mêleras pas. De cette façon, ce sera un vrai jeu.

— Ça va ! répondit Joe. Donne-lui un coup d’éperon.

Au bout d’une minute, l’insecte échappa à Tom et franchit le Rubicon ; mais, harcelé par Joe, il ne tarda pas à gagner le camp ennemi. Ces incursions se renouvelaient sans cesse, au grand amusement des deux intéressés. Tandis qu’un des joueurs tourmentait la victime, l’autre la suivait de l’œil avec impatience, la tête penchée sur l’ardoise. Enfin la chance favorisa Joe. Le cheval d’or, qui semblait aussi excité que son maître, changeait constamment de direction, courait à droite, à gauche, en avant, en arrière ; puis, au moment où Tom se croyait sur le point de triompher, au moment où les doigts lui démangeaient, la plume de son adversaire barrait la route à l’agile insecte. Enfin Tom ne put se contenir ; il avança la main et faillit manquer aux conventions qu’il venait de dicter. Joe se fâcha tout rouge.

— Tom, pas de tricherie, dit-il.

— Je veux seulement l’émoustiller un peu.

— Tu n’en as pas le droit,

— Sac à papier, je ne le pousserai pas !

— Je te dis de le laisser tranquille. Il est de mon côté de la ligne. Tu n’y toucheras pas !

— Nous allons voir ; il est à moi, et j’en ferai ce que je voudrai… Aïe !