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Page:Twain - Les aventures de Tom Sawyer, trad Hughes, illust Sirouy, 1884.djvu/71

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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

vait mourir — rien que pour un jour ou deux — Becky se repentirait peut-être quand il serait trop tard.

À défaut d’un trépas provisoire, qui ne lui aurait pas déplu, il chercha un moyen de vengeance plus réalisable. S’il décampait pour de bon et disparaissait mystérieusement ? S’il s’en allait au loin dans des pays inconnus, au-delà des mers, pour ne plus jamais revenir ? C’est alors que Becky se repentirait ! La pensée de s’enrôler dans un cirque forain lui sourit de nouveau — elle fut bien vite écartée. Un clown doit toujours rire, et ce rôle ne convenait pas à un malheureux qui voyait tout en noir. Non ; il se ferait soldat et ne regagnerait sa ville natale qu’au bout de longues années, couvert de gloire et de cicatrices, avec un bras ou deux jambes de moins. Mieux encore, il se joindrait à quelque tribu indienne, chasserait les taureaux sauvages et brandirait le tomahawk sur les montagnes et dans les plaines immenses du far west. Il deviendrait un grand chef et ne reparaîtrait à Saint-Pétersbourg que coiffé de plumes, hideusement tatoué, la ceinture ornée de chevelures enlevées aux ennemis de sa tribu. Il tomberait ainsi un beau matin au milieu des élèves de l’école du dimanche, poussant à l’improviste un cri de guerre sauvage qui épouvanterait les plus braves. Cependant on avait déjà vu des Indiens à Saint-Pétersbourg ; malgré les plumes et le cri de guerre, son entrée pourrait donc ne pas produire l’effet voulu. Tout bien réfléchi, il serait pirate. Oui, c’est cela ! Là-dessus, son avenir lui parut tout tracé, entouré d’une auréole d’une splendeur inimaginable. Le bruit de ses audacieux exploits se répandrait d’un bout à l’autre de l’univers, et son nom seul ferait trembler le monde. Avec quelle rapidité son léger navire, le Roi des tempêtes, fendrait les flots à la poursuite d’un galion espagnol chargé de doublons ! Avec quelle fierté il arborerait son sinistre drapeau noir ! Lui, Tom, arpenterait le pont avec ce calme imperturbable qui distingue les forbans. Il monterait toujours le premier à l’abordage. Impi-