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LETTRE DIX-HUITIÈME


Je cachais donc mes goûts sous un air réservé,
Et sus passer bientôt pour un sage achevé.
Tous les parents, séduits par mon maintien sévère,
M’exaltaient à l’envi, de façon que le père,
Bonhomme sans malice et plus aveugle qu’eux,
Me confia son fils et combla tous mes vœux.
Je fus chargé par lui de mener aux écoles
Son rejeton chéri ; par d’austères paroles
J’eus grand soin d’écarter ceux qui de mon trésor
S’approchaient de trop près. L’avare sur son or
Ne veille pas avec plus de sollicitude,
Plus de souci, d’amour, et plus d’inquiétude
Que je ne veillais, moi, sur l’attrayant dépôt
Duquel je prétendais user seul et bientôt.

Un matin que, couché tout près de mon élève,
Je cherchais le moyen de donner à ce rêve
Si longtemps poursuivi quelque réalité,
L’amour illumina mon esprit agité ;
Cupidon m’inspira. Je sortis de ma couche
En veillant sur mes pas, assez pour qu’une mouche
Ne se pût envoler, puis je gagnai le lit
De mon petit voisin, n’ayant fait aucun bruit.
À certains mouvements qu’il fit, je pus comprendre
Qu’il ne sommeillait plus ; alors, sans plus attendre
M’adressant à Vénus, la reine des amours.
Je m’écrie en tremblant : « Je t’adorai toujours,

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