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UNE VIE BIEN REMPLIE

gens de nos campagnes ont conté avoir vu des loups-garous. Eh bien, c’étaient des mauvais gars qui couraient la nuit pour faire peur au paysans superstitieux, les battre et les voler. Tu as entendu raconter qu’il n’y a guère plus de cinquante ans, le marguiller de Chêne-Aroult avait tellement terrorisés les pauvres gens que, dans une seule année, le curé avait dit plus de cent messes pour le repos des âmes des vieux parents décédés dans la commune ; puis il partageait l’argent avec le marguiller, car celui-ci jouait le rôle de loup-garou et avait fait mourir plusieurs paysans de peur et de coups ; ne soyons donc plus si méchants entre nous, nous ne sommes pas déjà si heureux ; aimons donc ceux qui nous aiment.

Pendant que ces paroles étaient échangées, Brigalot s’était approché du chien qui, couché dans un sillon recouvert de neige, tremblait de tous ses membres ; il demanda si on voulait le lui donner, ce qui fut accepté, comme on le pense bien. Cette bête fut couchée sur de la paille, dans une brouette, et tout de suite on l’emmena aux Ruches.

Là, pendant longtemps, ce chien fut soigné comme une personne qu’on aime, tous les grains de plomb qui purent être retirés le furent avec patience, les plaies étaient lavées à l’eau de guimauve et de lavande, on lui fit des soupes au lait et autres pâtées appropriées à son état ; son nouveau maître lui faisait de temps en temps avaler un peu de vin sucré ; enfin, après deux mois de bons soins, l’animal commença à marcher et, au bout de six mois, complètement guéri, il devint le compagnon et l’ami le plus fidèle de celui qui lui avait sauvé la vie ; son poil était devenu brillant et souple, car on sait que les chiens, comme les chats, ayant une bonne nourriture, ont la salive abondante et se font souvent la toilette avec leur langue. Quand vous voyez un chat sale avec le poil rude, vous pouvez dire hardiment qu’il est mal soigné.

L’attachement que les chiens bien traités portent à leurs maîtres n’est plus à démontrer, mais l’intelligence de certains de ces animaux est surprenante et admirable.

Quand le rescapé passait dans le hameau où il avait été si maltraité, il marchait près de son maître, du côté opposé à la maison où il avait été élevé ; s’il faisait la rencontre de son ancien propriétaire, il ne grognait pas, mais il four-