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UNE VIE BIEN REMPLIE

joie ; on aurait vraiment cru qu’il comprenait ce que lui disait son maître.

Brigalot avait aussi dressé son chien à garder son petit-fils, et quand on mettait le berceau en plein air dans la cour, le vieillard n’avait qu’à lui dire en prenant l’enfant. dans ses bras : tu le vois, garde-le bien. Alors il n’y avait que la mère et les grands parents qui pouvaient approcher ; les oies, dindons, moutons devaient passer au large.

Cette bête a vécu ainsi neuf ans.

Mme Brigalot étant morte, entourée de ses enfants et petits enfants, qui lui avaient toujours montré l’affection la plus tendre, on rappela longtemps les quelques paroles qu’avait dites Brigalot quand il vit sa femme morte : J’ai perdu le plus grand bien de tous les biens en perdant ma femme, qui était un vrai trésor.

Il vécut ainsi avec ses deux enfants, sans jamais quitter la ferme ; son autre enfant, établi à Paris, ne put jamais le décider à venir y passer quelques jours, car il craignait toujours de rencontrer les gendarmes ; il faut dire qu’à l’époque de sa condamnation, le fait d’avoir été emmené, les menottes aux mains, était un stigmate qui ne s’effaçait pas facilement de l’esprit des gens de campagne.

XXIX


En 1870, par une matinée de décembre, un fort contingent de l’armée prussienne arrivait à Douchy pour y faire halte jusqu’à la nuit suivante ; aussitôt plusieurs pelotons de ulhans étaient envoyés sur plusieurs points, car la tactique des chefs c’était d’en faire déployer en reconnaissance à environ un ou deux kilomètres de la route suivie par le gros de la troupe, c’est ainsi qu’au petit jour, une dizaine de ces cavaliers, commandés par un officier, firent irruption en trombe dans la cour de la ferme des Ruches.

Après avoir mis pied à terre, en un instant ces hommes