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UNE VIE BIEN REMPLIE

à tuer tout élan généreux vers un idéal humain par ses idées pondérées, par un égoïsme qui n’a d’autre objectif que d’arriver au succès d’argent.

C’est là l’esprit étroit d’une caste privilégiée, bien fait pour creuser encore le fossé qui sépare la bourgeoisie du peuple. Une bonne nouvelle à t’annoncer : depuis quinze jours, Madame Mage a une petite fille. Tout le monde nage dans la joie. Madame Bertin ne serait pas plus empressée auprès du bébé que si c’était elle la mère ; aussi il a été décidé d’un commun accord qu’elle ferait partie de la famille, comme une sœur, quand je n’y serais plus. Cela m’a causé un grand contentement.

On a déjà fait une sorte de baptême civil ; les voisins sont venus ; le père a chanté ma chanson préférée d’autrefois : Le Carillon de notre village. Tout le monde a pris du plaisir, jusqu’au chien Miron, qui jappait, ne pouvant s’exprimer autrement.

Tu le vois, voilà l’image réelle de la vie. Moi, j’ai fait mon temps, je vais partir. C’est déjà le passé ; l’enfant vient, c’est l’espérance, l’avenir.

Même l’eau de la rivière, qui en été chante comme un gazouillis d’oiseaux, en roulant ses petits flots de cristal, s’en va maintenant jaunie, poussant les feuilles mortes avec un murmure attristé, comme si elle avait conscience qu’elle aussi s’en va fatalement mourir dans la vaste mer, néant des rivières.


1912.
FIN

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