Aller au contenu

Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
UNE VIE BIEN REMPLIE

marbre blanc, représentant une femme tenant deux jeunes enfants sur ses genoux ; l’artiste avait su fixer dans ses yeux tant de ravissement et d’ineffable bonté que l’on ne se demandait pas s’il était célèbre ou non ; c’était beau, voilà tout. Aux murs, deux jolis chromos : l’un représentant la moisson, l’autre appelé Le Passeur, une copie du Louvre de Roybet, je crois. Devant le pavillon, à quinze ou vingt pas, de grands arbres fruitiers poiriers d’Angleterre, guigniers, pommiers, cerisiers, de sorte qu’après avoir charmé les yeux de leurs fleurs au printemps, ils charmaient le palais de leurs fruits savoureux à l’automne. Enfin, je trouvai tout charmant.

Le temps de mettre un faux-col frais, de me débarbouiller un peu, j’étais à table avec mon ami ; servis par sa bonne gouvernante et femme de confiance d’environ 55 ans, elle était entendue à son affaire ; une vraie compagnie pour mon ami ; avec peu de chose, elle savait faire un bon repas. Voici le menu de notre déjeûner : radis beurre, écrevisses, veau à la casserole, haricots, salade, fromage et un chasselas coupé à la treille ; c’était parfait. Pourtant, la cuisinière reçut un reproche de nous avoir servi des écrevisses ; la pêche est rigoureusement interdite, car on veut repeupler ces petites rivières, aussi une grosse amende serait infligée au pêcheur, ainsi qu’à celui qui aurait fait pêcher.

Ce déjeuner, arrosé d’un petit vin de Bourgogne, fut reconstituant et très agréable ; je ne parle pas de l’eau claire prise à la source d’à côté, on s’est abstenu d’y goûter ; elle était trop fraîche pour des estomacs de notre âge.

Mon ami me conta comment il fit connaissance du propriétaire de la maison. Ayant été élevé dans ce pays, il en avait conservé un bon souvenir et plusieurs fois, en été, il y était venu avec sa famille faire un tour ; il logeait à l’hôtel du village, n’ayant plus de parents dans les environs, il venait dans cette maison habitée alors par les parents de M. Mage ; ceux-ci confectionaient une omelette ou faisaient cuire la friture qu’il prenait ; c’étaient de braves gens qui avaient connu et aimé mon père. Quand leur fils eut fini son congé, il vint à Paris pour y travailler ; je lui trouvai un emploi dans une maison de commerce ; il gagna vite la confiance et la considération de ses chefs qui, au bout de quatre ans, l’intéressèrent dans les affaires ; il