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UNE VIE BIEN REMPLIE

située à environ cent mètres de la route ; la porte étant ouverte, j’entrai, le chapeau à la main, priant les gens assis autour du foyer de bien vouloir me laisser chauffer les pieds ; ils se regardèrent, mais personne ne me répondit ; je dus marcher jusqu’à ce que je trouvai une pauvre auberge où, pour quelques sous, je mangeai tout en me réchauffant comme il faut.

Le sixième jour, j’étais à Pithiviers où résidait mon père ; c’était le jour de la Toussaint. Il me reçut à bras ouverts, disant : « Mon pauvre enfant, ton frère seul est coupable ; il est certainement un des plus intelligents du pays et un travailleur sans égal, mais de se voir le maître de diriger la maison, il est encore comme les vieilles gens qui croient qu’un père ou un chef de maison a le droit d’agir selon son gré envers ses enfants, ses frères ou ses serviteurs ; je l’autorise à Jui écrire que tu n’as laissé qu’un étranger aux Chats, mais que tu as trouvé un père à Pithiviers. » Mon ami, ce ne sont pas des pleurs que je versai en l’embrassant, je suffoquais, je braillais.

Ne voulant pas être à la charge de mon père, qui ne le pouvait pas du reste, et n’ayant pas trouvé de travail en ville, j’en trouvai dans un gros hameau, à une demi-heure de la ville ; à ma prière, le patron consentit à me prendre six jours pour cinq francs. Chaque soir, quand on ne voyait plus clair pour travailler, je partais sans attendre la soupe ; chemin faisant, je mangeais un morceau de pain avec un œuf dur et quelques noix ; et, à travers champs, guidé sur le clocher, je venais à Pithiviers pour embrasser mon père, je me trouvais heureux.

Que ces pays de plaine sont donc tristes l’hiver ! Il m’est arrivé, en le quittant vers 9 heures, de m’égarer. On entend sans les voir, le bruit plaintif des moulins à vent. À la porte d’une ferme où vous frappez, les chiens font rage ; enfin, vous voyez la lueur d’un falot à travers la porte charretière et les gens, sans sortir, vous disent : prenez à main gauche, puis à main droite près le premier moulin ; et vous repartez dans la nuit.

De chez nous à Phitiviers, en six jours, j’avais dépensé 6 francs, nourriture et couché compris ; il me restait 4 francs ; avec 5 francs que je gagnai près de mon père, j’étais riche de 9 francs quand je le quittai.