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UNE VIE BIEN REMPLIE

côté, où nous étions nés. Sans prononcer une parole, elle vint se jeter dans mes bras en me disant : « Pardonne-moi, mon frère, j’étais une ignorante. » Je l’embrassai alors de tout mon cœur et nous restâmes de vrais amis jusqu’à sa mort. Mon père me demanda de venir avec lui voir mon frère aîné ; j’y consentis pour ne pas le chagriner, quoique j’avais encore le cœur bien meurtri au souvenir des menottes que j’avais eues aux mains. Nous avons par la suite vécu en bonne intelligence, quoique un peu froidement. Il n’était pas comme ma sœur, il ne faisait pas d’excuses ; amour-propre stupide autant que déplacé, selon moi.

Je passai quinze jours avec mes parents, leur racontant mon tour de France, leur chantant ou récitant des morceaux que je savais, faisant aussi la lecture des pièces de Molière : Le Malade imaginaire, Tartufe, etc., que mon père aimait tant. Il me dit : « Mon garçon, le plus bel éloge que je puis faire de toi, c’est de dire que pendant cinq ans, sans le secours de personne, avec ton travail seul, tu as vu du pays, tu as beaucoup appris et tu t’es bien conduit ; tu me rends bien heureux. »

Je le quittai pour aller travailler à Paris. Je ne devais plus le revoir ; il mourut subitement quelques mois après mon départ.

Pendant mon séjour chez mes parents, mon frère cadet me fit assister à deux coutumes curieuses. D’abord à un mariage. Au retour de la mairie, les deux mères attendaient les mariés à l’entrée de la cour de la maison et leur présentaient une soupière de bouillon où nageaient des grains d’avoine ; ils prenaient deux cuillerées de ce potage en faisant un peu la grimace, car, malgré que les pointes de l’avoine eussent été coupées, cela chatouillait désagréablement la gorge. Cette coutume était pour rappeler aux jeunes époux qu’ils devaient accepter sans se plaindre les mauvaises choses comme les bonnes.

L’autre coutume était le brandon ; c’était la bienvenue que l’on souhaitait à ses voisins. Quand un locataire, fermier ou autre, était emménagé, il allait rendre visite aux habitants d’alentour et leur demandait s’ils voulaient bien lui faire le plaisir de venir lui marquer le brandon, ce qui