Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/249

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dieux de la fable aussiimpatients dans leurs amours que de simples mortels ; le peintre, qui n’a aucune intention satirique, supprime l’embuscade et garde le char ; au lieu de l’en blâmer, il conviendrait, ce semble, de l’en féliciter ; il a représenté le véritable Poseidon ; il lui a conservé sa dignité ; Amymone n’a point à rougir de son ravisseur. Ainsi pensait sans doute le graveur d’une gemme que cite Welcker, d’après l’ouvrage de Bracci (1) ; Poseidon y était re- présenté monté sur un quadrige d’hippocampes et se disposant à enlever Amymone. La licence, si c’en est une, dont usa un graveur sur pierres fines, comment aurail-elle été interdite à un peintre qui doit remplir un espace plus considérable, et par conséquent, déployer sous nos yeux la pompe et la solennité que comporte son sujet ?

Selon Philostrate, les flots se gonilaient déjà, se courbaient en forme de voûte pour cacher à tous les yeux l’union du dieu et d’Amymone. Comment devons-nous nous représenter ce phénomène ? Welcker se demande si Phi- lostrate continue à décrire le tableau ou bien si, s’inspirant d’un passage célèbre d’Homère (2), et anticipant sur les événements, il ne voit point en imagination le lit nuptial d’Amymone ? Il nous semble que le texte de Philos- trate est formel ; les flots s’arrondissent déjà, dit-il ; il faut comprendre que les vagues se soulevaient et que la voûte liquide commençait àse former, Rien ne nous paraît d’ailleurs plus facile à représenter dans une peinture qu’un pareil phénomène ; il n’y a rien là de contraire aux procédés et aux ressources de l’art, Mais rien de semblable, dit-on, n’existe dans les monuments figurés de l’antiquité ? C’est là une erreur, aisée à réfuter. Sur uu vase de style luca- nien, Poseidon el Amymone sont enveloppés d’un arc de cercle, qui ne pouvant être pris avec quelque vraisemblance ni comme une grotte creusée dans une montagne, ni comme la voûte du ciel ni comme un nuage, a été regardé comme la figure sommaire de la chambre nuptiale, formée par les flots en l’honneur du dieu (3). Un miroir étrusque nous offre aussi des lignes délicates, décrivant derrière le dieu et Amymone un champ à peu près cireu- laire ; un monstre marin et un poisson qu’on y aperçoit semblent prévenir toute confusion ; la scène se passe sous les eaux ; le trait indique l’extra-dos de la voûte merveilleuse (4).

Reste à expliquer comment le flot qui est bleu et couleur d’azur doit être teinten pourpre par Poseidon. S’il s’agit de l’eau de la mer qui inonde le rivage et s’avance vers Amymone, il semble qu’elle devrait garder sa cou- leur, même après l’arrivée du dieu. Faut-il croire que le dieu, pour cacher ses amours où pour épargner la pudeur de la jeune fille, assombrit volontai- rement ses eaux : précaution inutile et délicatesse invraisemblable. Mais


(1) Bracci, Comment. de antig. sealpt., pl. VL.

(2) Odyssée, XI, 241 et suiv. Homère raconte les amours de Poseidon et de Tyro. (3) Voir plus hant p. 235, ne 9.

(4) Miroir du Museo Gregoriano, Gerhard, £trusk. Spiegel., 1, pl. XIV.





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