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terribles s’étaient passés sur cette montagne : la mort d’Actéon et celle de Penthée ; les rappeler, c’était indiquer avec plus de précision le lieu témoin de la scène principale du tableau. L’artiste n’eût été répréhensible, que si au lieu de les rappeler, il avait représenté Actéon déchiré par ses chiens et Penthée mis en pièce par les Bacchantes.



XIV

Ariadne.


Ariadne fut abandonnée pendant son sommeil dans l’île de Dia par le perfide Thésée (fut-ce bien une perfidie ? il obéissait, disent quelques-uns, à l’ordre de Dionysos) ; ta nourrice t’a fait sans doute ce récit, car elles sont savantes en pareille matière, les femmes de cette condition, et elles pleurent en contant, à volonté. Je n’ai donc pas besoin de te dire que c’est Thésée que le navire emporte, et que sur le rivage nous voyons Dionysos ; et si j’appelle tes yeux de ce côté, ce n’est point pour l’apprendre le nom de la jeune femme qui dort sur les rochers d’un sommeil paisible. Il ne suffit point non plus de louer chez le peintre des qualités qui pourraient être louées chez un autre, car il est facile à tout artiste de peindre une belle Ariadne, un beau Thésée. Dionysos a mille aspects divers ; qu’un sculpteur ou un peintre en saisisse un seul, même peu important, il a fixé le dieu. En effet, une couronne formée des baies du lierre, des cornes qui font saillie près des tempes, une pardalis, dont les bords apparaissent, voilà des symboles sans équivoque, fussent-ils l’œuvre d’un médiocre artiste. Mais ici Dionysos n’est reconnaissable qu’à son amour ; vêtements brodés, thyrses, nébrides, tout a été rejeté par le dieu, comme n’étant pas de saison ; les Bacchantes ne font pas retentir les cymbales, les satyres ne jouent pas de la flûte ; Pan lui-même se contient pour ne pas réveiller la jeune femme par des bonds désordonnés ; vêtu d’un péplos de pourpre, couronné de roses, Dionysos s’approche d’Ariadne ; il est ivre d’amour, comme dit le poète de Téos, en parlant des amants trop passionnés. Quant à Thésée, il soupire aussi, mais après la fumée qui s’élève des toits d’Athènes ; il ne connaît plus Ariadne, il ne l’a jamais connue, je dis plus, il a oublié le labyrinthe, il ne sait plus pourquoi il est passé en Crète, il ne voit que devant la proue de son vaisseau. Regarde aussi Ariadne, ou plutôt le sommeil lui-même ; la poitrine est nue jusqu’au milieu du corps, le cou est penché en arrière laissant voir une gorge délicate, toute l’épaule droite est à découvert, la main gauche repose sur la draperie par crainte des témérités du vent. Combien son haleine est douce et suave, ô Dionysos ! exhale-t-elle le