Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/326

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Un détail a particulièrement choqué les commentateurs. Comment, a-t-on dit, un peintre a-t-il pu se résoudre à nous montrer un satyre rejetant le vin qu’il a pris ? Est-ce bien là le tact et la délicatesse de l’art grec ? Brunn justifie Philostrate et le peintre en citant deux coupes du musée Grégorio dont l’intérieur représente un comos bachique, et l’extérieur un des buveurs qui ne diffère de notre satyre qu’en ce qu’il ne dort pas, qu’il est debout, et que dans sa détresse il s’appuie sur une bacchante secourable. On le voit, le trait essentiel reproché à ce tableau de Philostrate, non seulement se retrouve ici ; peut être même est-il singulièrement aggravé ; car l’exagéra- tion et le manque de goût peuvent être mis sur le compte de Philostrate, toujours un peu suspect à cet égard, et l’on peut concevoir que le prisonnier de Midas dormait seulement la bouche ouverte, les lèvres encore humi- des des dernières gouttes du vin qu’il avait avalé. L’image eût été ainsi tout autre que celle qui accompagne la traduction de Blaise de Vigenère ; le graveur en effet a couché son satyre parmi les roseaux, incliné sa tête sur la source, et pour le reste l’a rendu semblable à un mascaron de fontaine en pleine activité. Quoi qu’il en soit, nous ne dévons pas nous faire de l’art antique une idée trop exclusive ; il osait beaucoup, comme nous avons essayé de le montrer plus haut ; d’ailleurs il faut bien supposer aussi qu’il vint un temps où les artistes manquèrent de goût ; les défauts de la décadence n’affectent pas la seule littérature.

La milre et la robe brodée de Midas conviennent parfaitement à un roi oriental ; c’est le costume donné par exemple, sur un vase de Canusium (1), à Tantale, roi de Lydie, à Rhadamantys, le juge aux enfers des morts asia- tiques (2), à Orphée, le chanteur phrygien. Midas lient en outre le thyrse à la main : c’est que Midas, dans les légendes antiques, n’est pas seulement le prêtre de Cybèle, mais aussi celui du Dionysos orphique, c’est-à-dire du Dionysos qui était célébré sur les sommets de l’Olympe et les bords de l’Hèbre, et dont le culte avait un étroit rapport avec les cérémonies de la Grande-Mère, phrygienne et lydienne (3). Suivant la Fable, Apollon allongea démesurément les oreilles du roi phrygien, pour le punir d’avoir préféré les chants de Marsyas aux siens ; cet événement, d’après Ovide (4), serait posté- rieur à la rencontre du satyre par Midas. Mais la chronologie de la Fable est, comme on pense, incertaine et changeante ; œuvre des poètes et des artistes, elle varie aussi à leur gré. Deux vases, l’un provenant de Chiu- sium (5), l’autre de Palerme (6), nous montrent un silène entrainé devant Midas ; sur tous les deux le roi phrygien a les longues oreilles qui nous ser-

(1) Müller-Wiesel, D. d. a, K., 1, 215%. (2) Plat., Gorgias, 524, À.

(3) Preller, G. M, dritte Auflage, J, p. () Ovide, Mét., XL, 146.

(3) Ann. de l’inst. 1844. Tav. d’agg D 3. (6) Monum. de l’Inst., IV, tav. X.