Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/384

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fleurs se flétrissent ; tes nourrices, les nymphes de ces sources, soulèvent au-dessus de l’eau leur poitrine ruisselante et s’arrachent les cheveux. Ni ton courage ni la force de ton bras n’ont pu te servir ; tes membres ont été les uns déchirés, les autres broyés ; tes cheveux sont souillés ; ta poitrine respire encore comme si la vie ne l’abandonnait qu’avec peine et ton regard semble errer sur tes blessures. Comme tu es beau encore ! Vraiment nous ne savions pas que la beauté fût invulnérable ; non seulement elle n’a pas abandonné le jeune homme, mais des blessures mêmes elle tire je ne sais quelle grâce.



Commentaire.


Il est assez difficile de se représenter l’ordonnance du tableau d’après Philostrate qui s’est plus attaché à décrire le mouvement des chevaux et l’attitude des personnages qu’à nous indiquer la place des uns et des autres. D’un côté sans doute on apercevait la mer puisqu’un des chevaux se précipitait comme pour se jeter dans les flots ; les personnages qui représentaient les rochers devaient être placés sur le rivage, assis peut-être sur des rochers véritables, sans doute à l’arrière plan pour ne pas encombrer la scène principale ; l’autre côté ou le fond du tableau était occupé par une prairie, à l’extrémité de laquelle se tenaient sans doute les jeunes gens (le mot prairie en grec est du masculin) qui la personnifiaient, des ruisseaux la traversaient et des femmes à moitié sorties de l’eau figuraient les Nymphes des prairies humides, les nourrices d’Hippolyte. Sur le devant, un char renversé ; Hippolyte se soulevant dans un dernier effort, ses chevaux dispersés, à droite et à gauche ; le monstre près de la mer où il allait rentrer. Dans le lointain et de côté, les compagnons d’Hippolyte divisés en groupes, les uns démontés, les autres emportés par leurs chevaux.

Hippolyte, avons-nous dit, se relevait pour retomber. En effet, si on le suppose gisant à terre, il est difficile de comprendre comment il laisse errer son regard sur ses blessures. Nous nous le représentons volontiers dans l’attitude du Gaulois mourant dont la main appuyée sur le sol et le bras roidi soutiennent le corps défaillant : seulement le Gaulois tombe, Hippolyte au contraire a conservé assez de force pour se redresser ; le Gaulois ferme les yeux et meurt avec résignation, Hippolyte se regarde mourir et se pleure lui-même. Ses membres sans doute étaient déchirés, couverts d’une sanglante poussière, mais Hippolyte n’élait point un tronc informe, privé d’un bras ou d’une jambe : c’est de tout le corps, non du visage et de la poitrine seuls que Philostrate parle, lorqu’il s’écrie : « comme tu es beau encore ! tu es couvert de blessures, mais ta beauté est invulnérable ! » On reconnaît là le respect de l’artiste grec pour la beauté et la grâce. Euripide