Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/438

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l'on cherchait à se rendre favorable par des jeûnes et des offrandes. Associé aux êtres marins, il eut comme eux ses amours ; amours dignes d’un monstre marin, comme celui que lui inspira Scylla (1); amours étranges et malheu- reux comme celui qu’il éprouva pour Ariadne. Semblable encore sur ce point aux divinités marines, il connaît l'avenir ; tantôt ses prédictions sont riantes comme le nom qu'il porte; tantôt aussi, c'est un prophète de malheur. La légende supposait alors que pour jouer un pareil rôle, Glaukos n'était point content de son immortalité ; des matelots l'avaient entendu gémir sur son sort, et cela dans le dialecte éolien ; détail qui ajoutait, comme on le sent de reste, un grand poids à leur témoignage (2).

La grande expédition maritime des temps mythologiques devait aussi avoir rencontré Glaukos. Dans le poème d'Apollonius de Rhodes, Glaukos apparaît aux Argonautes au moment où, sur le conseil de Tiphys, ils quit- taient la terre des Mysiens, abandonnant Héraclès qui parcourait le pays à la recherche d'Hylas. Sorti de l’eau jusqu'aux flancs, hérissé d’une épaisse che- velure, l'habile devin du dieu Nerée, saisit le vaisseau de sa puissante main et engagea les navigateurs à poursuivre leur route ; Héraclès était destiné à une autre gloire; il devait, après nombreux travaux, être admis à la table des dieux ; quant à Hylas, il élait devenu l'époux d'une nymphe. Si dans le ta- bleau, Héraclès, comme le veut Philostrate, était sur le navire, on voit que Je peintre avait suivi une autre tradition et choisi un autre moment : que disait alors le dieu Glaukos ? Il prophétisait sans doute le succès de l’expédi- tion ; il saluait l'entrée du navire Argo dans les eaux dont il était le gardien,

L’ordonnance de ce tableau ne peut être conçue de deux manières différen- tes : d'un côté, voguait le navire Argo, avec son équipage de demi-dieux; de l'autre se dressait Glaukos, le dieu marin, le prophète des matelots.

Il est intéressant de comparer le portrait que Philostrate fait de Glaukos d'après notre tableau avec celui que Platon a tracé de la mème divinité (3) : «Il est difficile, dit-il, pour ceux qui voient Glaukos de reconnaître en lui sa première nature ; les flots, à force de battre son corps en ont brisé et détaché certaines parties ; d'aulres ont été broyées et tout à fait altérées ; d’un autre côté, il s'est accru, en se couvrant de coquillages, d'algues et de pierres ; si bien qu'il ressemble bien plus à un monstre qu'au pêcheur d’Anthédon, » Voilà sans doute Glaukos, tel qu'il est sorti de l'imagination populaire ; il est informe ; il est hideux ; il se confond avec un rocher, bizarrement découpé ; par le travail incessant des flots, couvert de plantes parasites. Les artistes ont dégrossi ce bloc; ils lui ont laissé le buste de l'homme ; ils lui ont donné une queue à replis multiples, deux même quelquefois, terminées chacune


{1) Voir, p. 425, la reproduction d'une peinture antique représentant Glaukos et Seylla.

(2) Voir la très intéressante dissertation de M. Vinct sur Glaukos, dun. dell Inst., XV, p. 144-205 et surtout la monographie do Gædechens, Glaukos der Meergott. Le tort des deux sa- vants, surtout du second, est d'avoir vu Glaukos un peu partout.

(3) Plat, Pel. 10, p. 611.