Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/487

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

son fils à une colonne. En supposant que les serviteurs avaient lutté contre Héraclès, le peintre animait la scène, remplissait le champ de son tableau, et donnait de la force d’Héraclès, accrue par la fureur, une idée encore plus saisissante. On s’est demandé toutefois comment le peintre avait pu sans con- fusion grouper tant de personnes autour du héros ; on doit observer que ce groupe peut se diviser lui-même en plusieurs : deux des servileurs sont ex- pressément indiqués comme tout près d’Héraclès, c’est d’abord celui qui lui prend les mains, ensuite celui qui essaie de le faire tomber. Quant à celui qui médite de l’enchaîner, au deuxième qui se mettait en posture de le con- tenir, au troisième qui criait, ils pouvaient être placés tous les trois à quel- que distance d’Héraclès ; restent, il est vrai, ceux qui lui livrent un véritable assaut. Quelle était leur attitude, leur place dans le tableau ? Peut-être por- taient-ils de côté ou par derrière la main sur Héraclès. En tout cas, si nous supposons qu’ilsn’étaient que deux, ils ne pouvaient, isolés ou réunis, dérober aux spectateurs les mouvements du héros. Il n’est donc pas nécessaire de supposer avec Brunn pour justifier Philostrate ou l’artiste grec que Philos- trate avait employé le pluriel pour le singulier ; cette inexactitude de langage était peut-être dans les habitudes du sophiste, comme l’a cru Welcker ; mais ici du moins il nous semble inutile de l’admettre.

Les critiques indiquent encore une autre différence entre le poète et le sophiste. Dans la tragédie, la Lyssa personnifiée se montre au spectateur elle est absente du tableau. Philostrate ne parle d’elle que pour dire qu’elle est entrée dans l’âme du héros, qu’elle le mène ou plutôt l’égare, qu’elle est invisible. Mais la différence, relevée ici, est plutôt une ressemblance ; en effet ager qui raconte dans la tragédie les fureurs d’Héraclès ne dit point qu’il ait vu Lyssa. Lyssa et Iris qui la déchaîne ont paru aux yeux du chœur, mais Lyssa annonce elle-même qu’elle pénétrera invisible dans le palais d’Héraclès.

Un peintre ami de l’allégorie aurait pu sans doute représenter Lyssa pla- nant au-dessus d’Héraclès et lui soufflant ses fureurs ; c’es ainsi que sur des peintures de vases nous apercevons auprès de Médée, tirant l’épée pour tuer ses enfants, auprès de Lycurgue massacrant sa femme et son fils, auprès de Térée, auprès d’Oreste, des figures de démons. Friederichs admire beaucoup cet emploi des êtres allégoriques qui personnifient le crime ou la passion et semblent en assumer tout l’odieux ; de sorte que le héros qui souillait ses mains dans le sang n’apparaissait plus que comme un instrument aveugle plus digne d’inspirer la compassion que l’horreur. Mais, comme l’a montré Brunn (1), cet artifice ne se rencontre guère que sur des vases et des bas-re- liefs d’une époque ancienne ; et si les artistes y ont eu recours, ce n’est pas pour rendre le héros moins odieux, mais bien pour suppléer à l’impuissance



le mes


(1) Brunn, Die Philostr. Gem., p. 256.

|




| 1