Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nuage, comment mon ame ne seroit-elle demeurée esblouye aux rayons de tant de soleils qui esclairent en ceste belle ? Que si je n’ay peu gouster tant de divinitez sans mourir, que j’aye au moins le contentement de celle qui mourut pour voir Jupiter en sa divinité. Je veux dire que comme sa mort rendit tesmoignage que nulle autre n’avoit veu tant de divinitez qu’elle, que vous avouyez aussi que nul n’ayma jamais tant de beauté, ny tant de vertu que moy.

Moy qui venois d’un exercice qui me faisoit croire n’y avoir point d’amour forcé, mais volontaire, avec lequel on s’alloit flattant en l’oysiveté, je luy dis : Est-il possible qu’une seule beauté soit la cause de votre mort ? – Mon frere, me respodit-il, je suis en telle extremité que je ne pense pas vous pouvoir satisfaire, en ce que vous me demandez. Mais, continua-t’il en me prenant la main, par l’amitié fraternelle, et par la nostre particuliere, qui nous lie encor plus, je vous adjure de me promettre un don. Je le fis. Lors il continua : Portez de ma part ce baiser à Silvie, [et lors il me baisa la main] et observez ce que vous trouverez de ma derniere volonté, et quand vous verrez ceste nymphe, vous sçaurez ce que vous m’avez demandé. A ce mot, avec le souffle s’envola son ame, et son corps me demeura froid entre les bras.

L’affliction que je ressentis de ceste perte, comme elle ne peut estre imaginée que par celuy qui l’a faite, aussi ne peut-elle estre comprinse, que par le cœur qui l’a soufferte. Et mal-aisément parviendra la parole, où la pensée ne peut atteindre ; si bien que sans m’arrester d’avantage à pleurer ce desastre, je vous diray, madame, qu’aussi-tost que ma douleur me l’a voulu permettre je me suis mis en chemin, tant pour vous rendre l’hommage, que je vous doy, et vous demander justice de la mort d’Aristandre, que pour observer la promesse que je