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Liure quatrieſme

HISTOIRE D’ASTRÉE
et Phillis.


CEux qui penſoient que les amitiez, & les haines paſſaſſent de pere en fils, s’ils ſçauoient qu’elle a eſté la fortune de Celadõ, & de moy, aduoüeroient ſans doute qu’ils ſe ſont bien fort trompez. Car, belle Diane, ie croy que vous auez ſouuẽt ouy dire la vieille inimitié d’entre Alcé, & Hippolite, mes pere & mere, & Alcippe et Amarillis, pere & mere de Celadõ : leur haine les ayant accompagnez iuſques au cercueil, qui a eſté cause de tant de troubles entre les Bergers de ceſte contrée que ie m’aſſeure qu’il n’y a perſonne qui l’ignore le long des riues du cruel & diffamé Lignõ. Et toutesfois il ſembla qu’Amour, pour monſtrer ſa puiſſance, voulut expreſſement de perſonnes tant ennemies en vnir deux ſi eſtroitement, que rien n’en peut rõpre les liens que la mort. Car à peine Celadon auoit atteint l’age de 14. ou 15. ans, & moy de 12. ou treize, qu’en vne aſſemblee qui se faiſoit au Temple de Venus qui eſt ſur le haut de ce mont, releué dans la plaine, vis à vis de Mont-Suc, à vne lieuë du chaſteau de Montbriſon, ce ieune Berger me vid, & comme il m’a raconté depuis, il en auoit conceu le deſir, long-tẽps auparauant par le rapport que l’on luy auoit faict de moy. Mais l’empeſchement que ie vous ay dict de nos peres luy en auoit oſté les moyens, & faut que i’aduouë, que ie ne croy pas qu’il en euſt plus de volonté que moy : Car ie ne ſçay pourquoy lors que i’oyois parler de luy, le cœur me treſſailloit en l’eſtomach : ſi ce n’eſt que ce fut vn preſage des troubles que depuis ſont arriuez à son occaſion. Or ſoudain qu’il me veid ie ne ſçay comment il trouua ſuiet d’Amour, en moy, tant y a que depuis ce tẽps il ſe reſolut de m’aimer, &