Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/182

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fois vous ne m’escrivez que pour me l’avoir promis, car je dois ce bien à vostre promesse et non pas à vostre amitié. Ressouvenez vous, je vous supplie, que je ne suis pas à vous, parce que je le vous ay promis, mais parce que veritablement je suis vostre, et que de mesme je ne veux pas des lettres pour les conditions qui sont entre nous ; mais pour le seul tesmoignage de vostre bonne volonté, ne les cherissant pas pour estre marchandées, mais pour m’estre envoyées d’une entiere et parfaite affection.

Alcippe n’avoit peu recognoistre qui estoit la bergere à qui cette lettre s’adressoit, car il n’y avoit personne de nommé. Mais voyez que c’est d’un esprit qui veut contrarier ; il ne plaignit pas sa peine d’attendre en ce mesme lieu plus de cinq ou six heures, pour voir qui seroit celle qui la viendroit querir, s’asseurant bien que le jour ne s’escouleroit pas, que quelqu’une ne la vint prendre. Il estoit desja fort tard quand je m’y en allay ; mais soudain qu’il m’apperceut, de peur que je ne la prisse, il se leva, et fit semblant de s’estre endormy là, et moy, pour ne luy point donner de soupçon, tournant mes pas, je faignis de prendre une autre voye. Luy au contraire, fort satisfait de sa peine, aussi tost que je fus partie, prit la lettre, et se retira chez soy, d’où il fit incontinent dessein d’en envoyer son fils, parce il ne vouloit en sorte quelconque qu’il eust alliance entre nous, à cause de l’extreme inimitié qu’il y avoit entre Alcée et luy, et au contraire avoit l’intention de le marier avec Malthée, fille de Forelle, pour quelque commodité qu’il pretendoit de leur voisinage. Les paroles qui furent dites entre nous à son depart, n’ont esté que trop divulguées par une des nymphes de Bellinde ; car je ne sçay comment ce jour là Lycidas, qui estoit au pied du rocher, s’endormit, et ceste nymphe en passant nous ouyt, et escrivit dans des tablettes tous nos discours. – Et quoy, interrompit Diane, sont- ce les vers que j’ay ouy chanter à une des nymphes de ma mere, sur le depart d’un berger ? –