Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/25

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cours, que tout glorieux et charge des despouilles de ses bords, il descendoit impetueusement dans Loire. Le heu où ils assoient assis, assoit un tertre un peu relevé, contre lequel la fureur de l’onde en vain s’alloit rompant, soustenu par en bas d’un rocher tout nud, couvert au dessus seulement d’un peu de mousse. De ce lieu le berger frappoit dans la riviere du bout de sa houlette, dont il ne touchoit point tant de gouttes d’eau, que de divers pensers le venoient assaillir, qui flottants comme l’onde, n’estoient point si tost arrivez, qu’ils en estoient chassez par d’autres plus violents.

Il n’y avoit une seule action de sa vie, ny une seule de ses pensées, qu’il ne r’appelast en son ame, pour entrer en conte avec elles, et acavoir en quoy il avoit offensé ; mais n`en pouvant condamner une seule, son amitie le contraignit de luy demander l’occasion de sa colere. Elle qui ne voyoit point ses actions, ou qui les voyant, les jugeoit toutes au desavantage du berger, alloit rallumant son coeur d’un plus ardant despit, si bien que quand il voulut ouvrir la bouche, elle ne luy donna pas mesme le loisir de proferer les premieres paroles, sans l’interrompre, en disant : Ce ne vous est donc pas assez, perfide et desloyal berger, d’estre trompeur et meschant envers la personne qui le meritoit le moins, si continuant vos infidelitez, vous ne taschiez d’abuser celle qui vous a oblige à toute sorte de franchise ? Donc vous avez bien la hardiesse de soustenir ma veue, apres m’avoir tant offensée ? Donc vous m’osez presenter, sans rougir, ce visage dissimule qui couvre une ame si double, et si parjure ? Ah ! va, va tromper une autre, va perfide, et t’addresse à quelqu’une, de qui tes perfidies ne soyent point encore recogneues, et ne pense plus de te pouvoir desguiser à moy, qui ne recognois que trop, à mes despens, les effects de tes infidelitez et trahisons.