Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/27

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Le triste berger la voyant partir avec tant de colere, demeura quelque temps immobile, sans presque sçavoir ce qu’il tenoit en la main, quoy qu’il y eust les yeux dessus. En fin avec un grand souspir, revenant de ceste pensée, et recognoissant ce ruban : Sois tesmoin, dit-il, ô cher cordon, que plutost que de rompre un seul des nœud de mon affection, j’ay mieux aymé perdre la vie, afin que quand je seray mort, et que ceste cruelle te verra, pour estre sur moy, tu l’asseures qu’il n’y a rien au monde qui puisse estre plus aime que je l’aime, ni amant plus mal recogneu que je suis. Et lors, se l’attachant au bras, et baisant la bague : Et toy, ; dit-il, symbole d’une entière et parfaite amitié, sois content de ne me point esloigner à ma mort, afin que ce gage pour le moins me demeure de celle qui m’avoit tant promis d’affection. A peirie eut-il fini ces mots, que tournant les yeux du coste d’Astree, il se jetta les bras croisez dans la riviere.

En ce lieu Lignon estoit tres-profond et tres-impetueux, car c’estoit un amas de l’eau, et un regorgement que le rocher luy faisoit faire contre mont; si bien que le berger demeura longuement avant que d’aller à fonds, et plus encore à revenir, et lors qu’il parut, ce fut. un genouil premier, et puis un bras, et soudain enveloppé du tournoyement de l’onde il fut emporte bien loing de là dessous l’eau. Des-ja Astrée estoit accourue sur le bord, et voyant ce qu’elle avoit tant aimé, et qu’elle ne pouvoit encore hayr, estre à son occasion si pres de la mort, se trouva si surprise de frayeur, qu’au lieu de luy donner secours elle tomba esvanouie, et si pres du bord, qu’au premier mouvement qu’elle fist lors qu’elle revint à soy, qui fut long temps apres, elle tomba dans l’eau, en si grand danger, que tout ce que peurent faire quelques bergers qui se trouverent pres de là, fut de la sauver, et avec