retenir les sains aupres de ceux qui en sont touchez, si est-ce que le bon naturel de Cleon eut autant de pouvoir sur elle, qu’elle ne voulust jamis esloigner sa mere, quelque remonstrance qu’elle luy fist. Au contraire, lors qu’aucunes de ses plus familieres l’en voulurent retirer, luy representant le danger où elle se mettoit, et que c’estoit offenser les dieux que de les tenter de ceste sorte : Si vous m’aimez, leur disoit-elle, ne me tentez jamais ce discours ; car ne dois-je pas la vie à celle qui me l’a donnée, et les dieux peuvent-ils estre offensez que je serve celle qui m’a appris à les adorer ?
En ceste resolution, elle ne voulut jamais abandonner sa mere, et s’enfermant avec elle, la servit tousjours aussi franchement, que si ce n’eust point esté une maladie contagieuse. Tircis estoit tout le jour à leur porte, bruslant de desir d’entrer dans leur logis ; mais la deffense de Cleon l’en empeschoit, qui ne luy voulut permettre, de peur que les mal-pensans ne jugeassent ceste assistance au desavantage de sa pudicité. Luy qui ne vouloit luy deplaire, n’y osant entrer, leur faisoit apporter tout ce qui estoit necessaire, avec un soin si grand, qu’elles n’eurent jamais faute de rien. Toutesfois, ainsi le voulut le Ciel, ceste malheureuse Cleon ne laissa d’estre atteinte du mal de sa mere, quelques preservatifs que Tircis luy peust apporter. Quand ce berger le sceut, il ne fut possible de le retenir qu’il n’entrast dans leur logis, luy semblant qu’il n’estoit plus saison de faindre, ny de redouter les morsures du mesdisant. Il met donc ordre à tous ses affaires, dispose de son bien, et declare sa derniere volonté ; puis ayant laissé charge à quelques uns de ses amis de le secourir, il se r’enferme avec la mere, et la fille, resolu de courre la mesme fortune que Cleon.
Il ne sert de dire que d’alonger ce discours, de vous redire quels furent les bons offices, quels les services