Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/350

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doit aimer son semblable, n’ordonnez-vous pas, nostre Juge, que Tircis aime une personne vivante, et non pas une morte, et mette son amitié en ce qui peut aimer, et non point entre les cendres froides d’un cercueil ? Mais, Tircis, dy moy, quel peut estre ton dessein, apres que tu auras noyé d’un fleuve de larmes les tristes reliques de la pauvre Cleon ? crois-tu de la pouvoir ressusciter par tes souspirs et par tes pleurs ? Helas ! ce n’est qu’une fois que l’on paye Charon, on n’entre jamais qu’une fois dans sa nacelle, on a beau le r’appeller de là, il est sourd à tels cris, et ne reçoit jamais les personnes qui viennent de ce bord. C’est impiété, Tircis, que d’aller tourmentant le repos de ceux que les dieux appellent. L’amitié est ordonnée pour les vivans, et le cercueil pour ceux qui sont morts : ne vueille confondre de telle sorte leurs ordonnances, qu’à une Cleon morte tu donnes une affection vivante, et à une Laonice vive le cercueil. Et en cela ne t’arme point du nom de constance, car elle n’y a nul interest : trouverois-tu à propos qu’une personne allast nue, parce qu’elle auroit gasté ses premiers habits ? Croy moy, qu’il est aussi digne de risée de t’ouyr dire, que parce que Cleon est parachevée, tu ne veux plus rien aimer. Rentre, rentre en toy-mesme, recognois ton erreur, jette toy aux pieds de cette belle, advoue luy ta faute, et tu eviteras par ainsi la contrainte, à quoy nostre juste juge par sa sentence te sousmettra.

Hylas acheva de cette sorte, avec beaucoup de contentement de chacun, sinon de Tircis, de qui les larmes donnoient cognoissance de sa douleur, lors que Phillis, apres avoir receu le commandement de Silvandre, levant les yeux aux ciel, respondit ainsi à Hylas :