Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/352

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Phillis, a suivi l’extreme qu’il a faite en la perdant. Que si le plaisir est l’objet de la volonté, puisqu’il ne peut plus avoir de plaisir, qu’a-t’il affaire de volonté ? et ainsi elle a suivy Cleon. Que si Cleon n’est plus ny aussi sa volonté, car il n’en a jamais eu que pour elle. Mais si Cleon est encore en quelque lieu, comme nos druides nous enseignent, ceste volonté est entre ses mains si contente en tel lieu, que si elle-mesme la vouloit chasser, elle ne tourneroit pas vers Tircis, comme sçachant bien qu’elle y seroit inutilement, mais iroit dans le cercueil reposer avec ses os bien-aimez. Et cela estant, pourquoy accuses-tu d’ingratitude le fidele Tircis, s’il n’est pas en son pouvoir d’aimer ailleurs ? Et voilà comment tu demandes non seulement une chose impossible, mais contraire à soy-mesme ; car si chacun doit aimer ce qu’il aime, pourquoy veux-tu qu’il n’aime pas Cleon, qui n’a jamais manqué envers luy d’amitié ? Et quant à la recompense que tu demandes pour les services et pour les lettres que Laonice portoit de l’un à l’autre, qu’elle se ressouvienne du contentement qu’elle y recevoit, et combien durant ceste tromperie elle a passé de jours heureux, qu’autrement elle eust trainés miserablement : qu’elle balance ses services avec ce payement, et je m’asseure qu’elle se trouvera leur redevable. Tu dis, Hylas, que Tircis l’a trompée : ce n’a point esté tromperie, mais juste chastiment d’Amour, qui a fait retomber les coups sur elle-mesme, puis que son intention n’estoit pas de servir, mais de decevoir la prudente Cleon ; que si elle a à se plaindre de quelque chose, c’est que de deux trompeuses elle a esté la moins fine

Voilà, Silvandre, comme briefvement il m’a semblé de respondre aux fausses raisons de ce berger, et ne me reste plus que de faire advouer à Laonice, qu’elle a tort de poursuivre une