Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/38

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rien paroistre inutilement. Et parce que la force qu’elle se faisoit en cela, estoit tres grande, et qu’elle ne pouvoit la supporter plus longuement, elle s’approcha de Phillis, et la pria de ne la point suivre, afin que les autres en fissent de, mesme ; et luy prenant je chapeau qu’elle tenoit en sa main, elle partit seule, et se mit à suivre je sentier par où ses pas sans election la guidoyent. Il n’y avoit guere berger en la trouppe qui ne sceut l’affection de Celadon parce que ses parents par leurs contrarietez, l’avoient decouvert plus que ses actions, mais elle s’y estoit conduite avec tant de discretion, que hormis Semyre, Lycidas et Phillis, il n’en y avoit point qui sceust la bonne volonté qu’elle luy portoit, et encore que l’on cogneut bien que ceste perte l’affligeoit, si l’attribuoit-on plustost à un bon naturel, qu’à un amour [tant profite la bonne opinion que l’on a d’une personne].

Cependant elle continuoit son chemin, le long duquel mille pensers, ou plustost mille desplaisirs la talonnaient pas à pas, de telle sorte que quelquesfois douteuse, -d’autres fois asseurée de l’affection de Celadon, elle ne sçavoit, si elle le devoit plaindre, ou se plaindre de luy. Si elle se ressouvenoit de ce que Lycidas luy venoit de dire, elle le jugeoit innocent ; que si les paroles qu’elle luy avoit ouy tenir aupres de la bergere Amynthe, luy revenoient en la memoire, elle le condamnoit comme coulpable. En ce labyrinthe de diverses pensées, elle alla longuement errante par ce bois, sans nulle election de chemin, et par fortune, ou par le vouloir du Ciel, qui ne pouvoit souffrir que l’innocence de Celadon demeurast plus longuement douteuse en son ame, ses pas la conduisirent, sans qu’elle y pensast, le long du petit ruisseau entre les mesmes arbres, où Lycidas luy avoit dit que les vers de Celadon estoient gravez. Le’desir de sçavoir s’il avoit