Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/387

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mal aimer, comme vous ; et ainsi on me pourra nommer maistre, et vous brouillon d’amour.

A ces derniers mots, il n’y eut celuy qui peust s’empescher de rire, sinon Lycidas, qui oyant ce discours, ne pouvoit que se fortifier d’avantage en sa jalousie, de laquelle Phillis ne se prenoit garde, croyant de luy avoir rendu de si grandes preuves de son amitié, que par raison il n’en devoit plus douter : l’ignorante qui ne sçavoit pas que la jalousie en amour est un rejetton qui attire pour soy la nourriture qui doit aller aux bonnes branches, et aux bons fruits, et que plus elle est grande, plus aussi monstre-t’elle la felicité du lieu et la force de la plante !

Paris qui admirait le bel esprit de Silvandre, ne sçavoit que juger de luy, et luy sembloit que s’il eust esté nourry entre les personnes civilisées, il.eust esté sans pareil, puis que vivant entre ces bergers, il estoit tel, qu’il ne cognoissoit rien de plus gentil. Cela fut cause qu’il resolut de faire amitié avec luy, afin de jouyr plus librement de sa compagnie. Et pour le faire disputer encore, il s’adressa à Hylas, et luy dit, qu’il falloit avouer, qu’il avoit pris un mauvais party, puis qu’il en estoit demeuré muet. – II ne se faut point estonner de cela, dit Diane, puis qu’il n’y a juge si violent que la conscience. Hylas sçait bien qu’il dispute contre la verité, et que c’est seulement pour flatter sa faute.

Et quoy que Diane continuast quelque temps ce discours, si est-ce que Hylas ne respondit mot, estant attentif à regarder Phillis, qui depuis qu’elle avoit peu accoster Lycidas, l’avoit tousjours entretenu assez bas. Et parce qu’Astrée ne vouloit qu’il ouist ce qu’elle luy disoit, elle l’interrompit plusieurs fois, jusques à ce qu’elle le contraignit de luy dire : Si Phillis estoit autant importune, je ne l’aimerois point. – Vrayement, berger, lui dit-elle, expres pour l’empescher de les escouter, si vous estes aussi mal-gratieux envers elle, que peu civil envers