Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/393

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dans ce canal, qu’il trouva tout fait, courut d’une si grande furie, qu’il continua les tranchées jusques dans la mer, où il se va desgorgeant, par ce moyen, par deux voyes : car l’ancien cours a tousjours suivy son chemin ordinaire, et ce nouveau s’est tellement agrandy, qu’il esgale les plus grandes rivieres, faisant entre-deux une Isle tres delectable, et tres fertile. Et à cause que ce sont les tranchées de Caius Marius, le peuple par un mot corrompu, l’appelle de son nom Camargue, et depuis, parce que le lieu se trouva tout entouré d’eau, à sçavoir de ces deux bras du Rhosne et de la mer Mediterranée, ils la nommerent l’isle de Camargue.

Je ne vous eusse pas dit tant au long l’origine de ce lieu, n’eust esté que c’est la contrée où j’ay pris naissance, et où ceux dont je suis venu, se sont de long temps logez ; car à cause de la fertilité du lieu, et qu’il est comme destaché du reste de la terre, il y a quantité de bergers qui s’y sont venus retirer, lesquels à cause de l’abondance des pasturages on appela pastres. Et mes peres y ont tousjours esté tenus en quelque consideration parmy les principaux, soit pour avoir esté estimez gens de bien et vertueux, soit pour avoir eu honnestement et selon leur condition, des biens de fortune ; aussi me laisserent-ils assez accommodé, lorsqu’ils moururent, qui fut sans doute trop tost pour moy, car mon pere mourut le jour mesme que je nasquis, et ma mere qui m’esleva avec toute sorte de mignardise, en enfant unique, ou plustost enfant gasté, ne me dura que jusques à ma douziesme année. Jugez quel maistre de maison je de vois estre ! Entre les autres imperfections de ce jeune aage, je ne peus eviter celle de la presomption, me semblant qu’il n’y avoit pastre en toute Camargue, qui ne me deust respecter. Mais quand je fus un peu plus advancé, et que l’amour