Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/395

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amoureux ; de sorte que la longue continuation fit croire à plusieurs que j’en sçavois plus que mon’aage ne permettoit. Et cela fut cause, que quand je fus parvenu aux dix-huict ou dix-neuf ans, je me trouvay engagé à la servir. Mais d’autant que mon humeur n’estoit pas de me soucier beaucoup de ceste vaine gloire, que la pluspart de ceux qui se meslent d’aimer, se veulent attribuer, qui est d’estre estimez constans, la bonne chere de Carlis m’obligeoit beaucoup plus que ce devoir imaginé.

De là vint qu’un de mes plus grands amis prit occasion de me divertir d’elle. Il s’appelloit Hermante, et sans que j’y eusse pris garde, estoit tellement devenu amoureux de Carlis, qu’il n’avoit contentement que d’estre aupres d’elle. Moy qui estois jeune, je ne m’apperceus jamais de ceste nouvelle affection, aussi avois-je trop peu de finesse pour la recognoistre, puis que les plus rusez en ce mestier ne l’eussent peu faire que malaisement. Il avoit plus d’aage que moy, et par consequent plus de prudence, de sorte qu’il sçavoit si bien dissimuler, que je ne croy pas que personne pour lors s’en doutast. Mais ce qui luy donnoit beaucoup d’incommodité, c’estoit que les parens de ceste bergere desiroient que le mariage d’elle et de moy se fist, à cause qu’ils avoient opinion que ce luy fust advantage. De quoy Hermante estant adverty, mesmes cognoissant aux discours de la bergere, que veritablement elle m’aimoit, il creut qu’elle se retireroit de moy, si je commençois de me retirer d’elle. Il avoit bien recogneu, comme je vous ay dit, que je changerois aussi tost que l’occasion s’en presenteroit. Et apres avoir consideré en soy-mesme par où il commenceroit ce dessein, il lui sembla que me donnant opinion de meriter d’avantage, il me feroit desdaigner pour l’incertain ce qui m’estoit asseuré. Il y parvint fort aisément :