Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/417

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L’affliction que je veis en ceste bergere, me toucha de tant de compassion, qu’encore que son visage ne fust peut-estre pas capable de me donner de l’amour, toutefois la pitié m’attaignit si au vif, qu’il faut que je confesse que Carlis, Stilliane, Aymée, ny Floriante, ne me lierent jamais d’une plus forte chaine, que ceste desolée Cloris. Ce n’est pas que je n’aimasse les autres, mais j’avois encor, outre leur place, celle-cy vuide dans mon ame. Me voilà donc resolu à Cloris comme aux autres, mais je cogneus bien qu’il n’estoit pas à propos de luy en parler, que Rosidor ne fust ou mort ou gueri, car la pleine où elle estoit, l’occupoit entierement.

Nous arrivasmes de ceste sorte à Lyon, où soudain chacun se separa. Il est vray que la nouvelle affection que je portois à Cloris me la fit accompagner jusques en son logis, où mesme je visitay Rosidor, afin de faire cognoissance avec luy, jugeant bien qu’il falloit commencer par là à parvenir aux bonnes graces de sa femme. Elle qui le croyoit beaucoup plus blessé qu’elle ne le trouva [car on fait tousjours le mal plus grand qu’il n’est pas, et l’apprehension augemente de beaucoup l’accident que l’on redoute] changea toute de visage, et de façon, quand elle le trouva levé et qu’il se promenoit par la chambre. Mais oyez ce qui m’arriva. La tristesse que Cloris avoit dans le batteau, fut, comme je vous ay dit, la cause de mon affection, et quand aupres de Rosidor je la veis joyeuse et contente, tout ainsi que la compassion avoit fait naistre mon amour, sa joye aussi, et son contentement le firent mourir, esprouvant bien alors, qu’un mal se doit tousjours guerir par son contraire : j’entray donc serf et captif dans ce logis, j’en sortis libre et maistre de moy-mesme. Mais considerant cet accident, je m’allay ressouvenir d’Aymée, et de Floriante ; incontinent me