Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/46

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Moy qui veux fuyr ces sottises,
Qui ne donnent que de l’ ennuy,
Sage par le mal-heur d’autruy
J’use tousjours de mes franchises,
Et ne puis estre mecontant,
Que l’on n’en appelle inconstant.

A ces derniers vers ce berger se trouva si proche de Tyrcis, qu’il peut voir les larmes de Laonice, et parce qu’encores qu’estrangers, ils ne laissoient de se cognoistre, et de s’estre desja pratiquez quelque temps par les chemins, ce berger sçachant quel estoit l’ennui de Laonice et de Tyrcis, s’adressa d’abord à lui de ceste sorte : 0 berger desolé [car à cause de sa triste vie, c’estoit le nom que chacun luy donnoit] si j’estois comme vous, que je m’estimerois mal-heureux ? Tyrcis, l’ovant parler, se releva pour luy respondre : Et moy, luy dit-il, Hylas, si j’estois en vostre place, que je me dirois infortune  ! – S’il me falloit plaindre, adjousta cestuy-cy, autant que vous pour toutes les maistresses que j’ay perdues, j’ aurois à plaindre plus longuement que je ne sçaurois vivre. – Si vous faisiez comme moy, respondit Tyrcis, vous n’en auriez à plaindre qu’une seule. – Et si vous faisiez comme moy, repliqua Hylas, vous n’en plaindriez point du tout. – C’est en quoi, dit le desolé, je vous estime miserable ; car si rien ne peut estre le prix d’amour que l’Amour mesme, vous ne fustes jamais aimé de personne, puis que vous n’aimastes jamais, et ainsi vous pouvez bien marchander plusieurs amitiéz, mais non pas les acheter, n’ayant pas la monnoye dont telle marchandise se paye. – Et à quoy cognoissez vous, respondit Hylas, que je n’aime point ? – Je le cognois, dit Tyrcis, à vostre perpetuel changement. – Nous sommes, dit-il, d’une bien differente opinion, Car j’ay tousjours creu que l’ouvrier se rendoit plus parfait, plus il eserçoit souvent le mestier’dont il faisoit profession. – Cela est