Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

meilleurs allegements qui leur furent possibles ; mais le travail, que l’eau luy avoit donné, avoit esté si grand, que quelque remede qu’elles luy fissent, il ne peut ouvrir les yeux, ny donner autre signe de vie que par le battement du coeur, passant ainsi le reste du jour, et une bonne partie de la nuict, avant qu’il revint à soy. Et lors quil ouvrit les yeux, ce ne fut pas avec peu d’estonnement de se trouver où il estoit advenu sur le bord de Lignon, et comme le desespoir l’avoit fait sauter dans l’eau : mais il ne sçavoit comme il estoit venu en ce lieu, et apres estre demeuré quelque temps confus en ceste pensée, il se demandoit s’il estoit vif ou mort. Si je vis, disoit-il, comment est-il possible que la cruauté d’Astrée ne me face mourir ? Et si je suis mort, qu’est- ce, ô Amour, que tu viens chercher entre ces tenebres ? ne te contentes-tu point d’avoir eu ma vie ? ou bien veux-tu dans mes cendres r’allumer encores tes anciennes flammes ? Et parce que le cuisant soucy, qu’Astrée lui avoit laissé, ne l’ayant point abandonné, appelloit toujours à luy toutes ses pensées, continua : Et vous, trop cruel souvenir de mon bon-heur passé, pourquoy me representez-vous le deplaisir qu’elle eust eu autrefois de ma perte, afin de rengreger mon mal veritable, par le sien imaginé, au lieu que pour m’alleger vous devriez plustost me dire le contentement qu’elle en a, pour la haine qu’elle me porte ?

Avec mille semblables imaginations, ce pauvre berger se r’endormit d’un si long sommeil, que les nymphes eurent loisir de venir voir comme il se portoit, et le trouvant endormy, elles ouvrirent doucement les fenestres, et les rideaux, et s’assirent autour de luy pour mieux le contempler. Galathée apres l’avoir quelque temps consideré, fut la premiere qui dit d’une voix basse, pour ne l’esveiller : Que ce berger est changé de ce qu’il estoit