Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/595

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prenez garde avec quel soing ce fidele animal considere son maistre, car cependant qu’il regarde dans la fontaine, il semble, tant il a les yeux tendus sur luy, d’estre desireux de sçavoir qui le rend si esbahy. Que si vous condiderez l’estonnement qui est peint en son visage, vous jugerez bien qu’il en doit avoir une grande occasion.

Mandrague luy avoit fait voir en songe Maradon, jeune berger, qui prenant une flesche à Cupidon, en ouvroit le sein à Fortune, et luy ravissoit le coeur. Luy qui, suivant l’ordinaire des amants, estoit toujours en doute, s’en vint, aussi tost qu’il fut jour, courant à ceste fontaine, pour sçavoir si sa maistresse l’aimoit. Je vous supplie, considerez son esbahissement: car si vous comparez les visages des autres tableaux à cestuy-cy, vous y verrez bien les mesme traits, quoy que le trouble en quoy il est peint le change de beaucoup de ces deux figures que vous voyez dans la fontaine, l’une, comme vous pouvez cognoistre, est celle de la bergere Fortune, et l’autre du berger Maradon, que la magicienne avoit fait representer plustost qu’un autre, pour sçavoir que cestuy-cy avoit esté dés long-temps serviteur de ceste bergere. Et quoy qu’elle n’eust jamais daigné le regarder, toutesfois amour qui croit facilement ce qu’il craint, persuada incontinent le contraire à Damon, creance qui le fit ressoudre à la mort. Remarquez, je vous supplie, que ceste eau semble trember, c’est que le peintre a voulu representer l’effet des larmes du berger qui tomboient dedans.

Mais passons à la seconde action. Voyez comme la continuation de ceste caverne est bien faicte et comme il semble que vrayement cela soit plus enfoncé. Ce mort que vous y voyez au fond, c’est le pauvre Damon, qui desperé, se met l’espieu au travers du corps. L’action qu’il fait est bien naturelle: vous luy voyez une jambe