Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/73

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grands troubles par ces contrées, et sur tout qu’Alcippe seroit un esprit turbulent, qui jamais ne s’arresteroit dans les termes du berger.

Lors qu’il commençoit d’atteindre un demy siecle de son aage, de fortune il devint amoureux de la bergere Amarillis, qui pour lors estoit recherchée secretement d’un autre berger son voisin, nommé Alcé. Et parce qu’Alcippe avoit une si bonne opinion de soy-mesme, qu’il luy sembloit n’y avoir bergere qui ne receut aussi librement son affection, comme il la luy offriroit, il se resolut de n’user pas de beaucoup d’artifice pour la luy declarer, de sorte que la rencontrant à un des sacrifices de Pan, ainsi qu’elle retourmoit en son hameau, il luy dit : Je n’eusse jamais creu avoir si peu de force, que de ne pouvoir resister aux coups d’un ennemy, qui me blesse sans y penser. Elle luy respondit : Celuy qui blesse par mégarde, ne doit pas avoir le nom d’ennemy. – Non pas, respondit-il, en ceux qui ne s’arrestent pas aux effets, mais aux paroles seulement ; mais quant à moy je trouve que celuy qui offense comme que ce soit, est ennemy, et c’est pourquoy je vous puis bien donnerce nom. – A moy, repliqua-t-elle ? je n’en voudrois avoir, ny l’effet ny la pensée, car je fais trop d’estat de vostre merite. – Voilà, adjousta le berger, un de ces coups dont vous m’offensez le plus, en me disant une chose pour une autre. Que si veritablement vous recognissiez en moy ce que vous dites, autant que je m’estime outragé de vous, autant m’en irois-je favorisé, mais je voy bien qu’il vous suffit de porter l’amour aux yeux, et en la bouche ; sans lui donner place dans le cœur.

La bergere alors se trouvant surprise, comme n’ayant point entendu parler d’amour, lui respondit : Je fais estat, Alcippe, de vostre vertu ainsi que je dois, et non point outre mon devoir, et quant