Page:Urfé - L’Astrée, Première partie, 1631.djvu/83

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ta presence promet à l’abord ? est-il possible qu’un peril imaginé te fasse laisser un bien asseuré ? Et voayant qu’il ne s’en esmouvoit point : Que maudite soit la mere, dit-elle, qui te fit si beau, et si peu hardy ; sans doute et ton visage, et ton courage, sont plus fort de femme que de ce que tu es. Le jeune Alcippe ne pouvoit ouyr sans rire les paroles de ceste vieille en colere. En fin apres avoir qualque temps pansé en luy mesme, quel ennemy il pouvoit avoir, et trouvant qu’il n’en avoit point, il se resolut d’y aller, pourveu qu’elle luy permit de porter son espée ; et ainsi se laissa bouchr les yeux et, la prenant par la robe, la suivit où elle le voulut conduire. [57/58] Je serois trop long, si je vous racontois, madame, toutes les particularitez de ceste nuict. Tant y a qu’apres pusieurs detours, et ayant peut estre plusieurs fois passé sur un mesme chamin, il se trouva en une chambre, où les yeux bandez il fut deshabillé par ceste mesme femme, et mis dans un lict. Peu apres arriva la dame, qui l’avoit envoyé chercher, et se mettant aupres de luy, lui debaoucha les yeux, parce qu’il n’y avoit point de lumiere dans la chambre ; mais quelque peine qu’il a prit, il lne sceut jamais tirer une seule parole d’elle, de sorte qu’il se leva le matin, sans sçavoir qui elle estoit, seulement la jugea-t’il belle et jeune. Et une heure avant le jour, celle qui l’avoit amené le vint reprendre, et le reconduisit avec les mesmes ceremonies. Depuis ce jur, ils resolurent ensemble que toutes les fois qu’il y devroit retourner, il trouveroit une pierre à un certain carrefour dés le matin.

Cependant que ces choses se passoient ainsi, le pere d’Alcippe vint à mourir, de sorte qu’il demeura plus maistre de soy mesme qu’il ne souloit estre. Et n’eust esté le commandement d’Amarillis et son intention particuliere qui l’y retenoit, l’amour qu’il portoit à sa bergere l’eust