Page:Urfé - L’Astrée, Quatrième partie, 1632.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ce que nous voyons par un verre nous semble estre de la mesme couleur de ce verre, parce que les milieus par lesquels la veue se fait, representent faux à l’œil, de mesme advient-il que les actions d’un amant sont veues et jugées autres qu’elles ne sont pas, et cela pour de deffaut des milieus par lesquels on les void. Mais en effect tout homme ayme, et cette proposition est si vraye, qu’on peut dire avec assurance, que tout ce qui n’ayme point n’est point homme. – Et moy je dis, repliqua Dorinde, que si celuy qui n’ayme point n’est point homme, jamais homme ne fut homme car jamais homme n’a sceu aymer.

Quoy que Silvandre fut en estat de ne se plaire guere en semblables discours, si est-ce qu’il ne se put empescher se sousrire quand Dorinde luy fit cette responce. Et lors qu’il vouloit reprendre la parole pour luy rapporter d’autres plus fortes raisons, il en fut empesché par la survenue d’une grande trouppe de bergers et de bergeres, qui tous ensemble se retiroient en leurs cabanes, tant pour disner que pour passer à l’ombre quelques heures de grand chaud. Cela fut cause qu’il supplia ces belles estrangeres de luy permettre pour cette heure de se retirer, puis qu’aussi bien cette grande trouppe interromproit leurs discours.

Elles qui estoient bien ayses de l’ouyr, mais aussi qui desiroient de se reposer un peu, et mesme Dorinde, le convierent de venir en leur cabane, mais il s’en excusa le mieux qu’il put, avec promesse que, quand elles voudroient, il s’expliqueroit mieux sur ce sujet qu’il n’avoit sceu faire à