Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/164

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bien qu’elle me permettra, quand j’auray finy de raconter ce qu’elle m’ordonne, de me pouvoir deffendre, non pas contr’elle, mais seulement contre les mauvaises impressions qu’elle peut avoir receues de la calomnie dont je voys que mon innocence est accusée. Et par ainsi, reprenant le discours où elle l'a laissé, je diray seulement que, quand sa response me fut donnée, et que de bouche je sceus par celuy que je luy avois envoyé ce qu’elle me mandoit, et qu’il ne tiendroit qu’à moy que je n’eusse le bonheur de la voir, jamais homme ne se creut plus heureux, ny ne fut plus content, ny plus satisfaict de sa fortune que moy. Cent fois je releus et rebaisay la lettre qu’elle m’escrivoit, et cent fois je me fis redire ce qu’elle me mandoit ; et, à chaque fois, j’embrassois ce fortuné messager. Et parce que c’estoit un homme en qui je me fiois grandement et qui plusieurs fois m’avoit rendu preuve de sa fidelité (aussi, s’il n’eust esté tel, je ne l’eusse pas employé à une affaire qui me touchoit si vivement), je lui faisois cent et cent demandes d’enfant, ne me pouvant saouler de luy faire dire si elle estoit aussi belle que je l’avois veue, si elle monstroit de m’aymer, et sur tout, s’il n’avoit point recognu qu’elle aymast quelqu’autre chose. Et quand il me respondoit selon mon desir, je l’embrassois avec un si grand transport, qu’il juroit ne m’en vouloir plus rien dire, puisqu’en luy faisant ces caresses, il craignoit que je ne l’estouffasse entre mes bras.