Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/201

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crains le plus, qui est une foible amitié de vostre costé, car l’un des premiers effects d’une vraie amour, c’est d’oster à l’amant toute sorte de méfiance de la personne aimée ; aussi est-il impossible de pouvoir aimer celuy duquel on se deffie. – C’est en quoy me repliqua-t’elle, vous devez cognoistre la grandeur de mon amitié, puisque, ayant tant de justes occasions de douter de vous, toutesfois elle est encore plus forte que tous ces empeschemens, et me contraint de vous rendre de tels tesmoignages de ma bonne volonté – S’il vous plaist, luy dis-je, madame, que je le prenne de ce biais, j’advoue que ce sera à mon advantage. Et toutesfois, ne pouvant laisser la perfection de l’amour, qui est en moy, sans deffence, permettez-moy de vous dire qu’à tort vous m’accusez de jeunesse, puis que j’ay desjà deux fois dix ans. – Ah ! me dit-elle, Alcidon, avant qu’il y ait tant soit peu d’assurance, il en faut avoir deux fois douze.

Je, me mis à rire et luy respondis : Cela, madame, est bon pour, ceux qui n’aiment que des beautez ordinaires, mais pour moy et pour vous, le temps n’y sert de rien, parce que vos liens et vos nœuds sont trop forts et trop serrez, pour pouvoir se deffaire en quatre ans. – Et quoy donc, me dit-elle, apres quatre ans pensez-vous vous en pouvoir deffaire ? – Pardonnez-moy, madame, luy respondis-je en sousriant, mais je veux dire que, ces quatre ans estans passez, j’auray les deux fois