Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/351

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artifice qui luy semblast ou injuste ou trop difficile.

Cela fut cause que, quelques-uns luy proposant de se servir de charmes pour retenir l’esprit ondoyant de ce prince, elle ne les refusa point, au contraire s’en servit comme d’un moyen ordinaire et permis. Elle donna au grand Euric un bracelet de ses cheveux où des lions de pierrerie servoient de fermoirs. Ces lions avoient telle vertu que, tant qu’il les porteroit au bras, il ne pourroit aimer qu’elle. Peut-estre ne sembleroit-il pas tant estrange que l’amour et l’ambition, qui sont deux passions si puissantes, luy eussent fait commettre cette faute, si, s’arrestant là, elle n’y eust pas adjousté la seconde, qui veritablement ne proceda que de faute de judgement. Mais, pensant qu’il les auroit plus chers et qu’il seroit plus soigneux de les porter continuellement ou de ne les point donner à personne, elle luy dit qu’un tres-sçavant druide, et qui avoit un soin particulier de la conservation de sa couronne, sçachant combien de meschantes entreprises se tramoient contre sa vie et contre son estat, avoit fait ces lions sous de certaines constellations et avec un si grand art, que, tant qu’il les auroit au bras, il n’y auroit jamais entreprise de ses ennemis qui peust avoir effect contre luy, et qu’au contraire, toutes les fois que quelqu’un entreprendroit quelque chose à son prejudice, ces lions l’en advertiroient en luy serrant doucement les bras avec les ongles.