Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/358

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mis contre la bouche, je continuay : Ouy, Alcidon, nous sommes changez, et vous et moy. Moy, parce qu’autrefois j’ay creu que vous n’aimiez qu’une seule Daphnide, et maintenant je sçay asseurément le contraire. Et vous, parce qu’autrefois vous estiez tout à moy, et maintenant c’est la belle Clarinte qui vous a possedé. Mais qu’elle jouysse paisiblement de cette acquisition. Je vous promets, Alcidon, que, tant s’en faut que je la luy debatte, je prieray le Ciel qu’il la luy continue mille siecles.

Alcidon monstra bien un grand estonnement, et de se vouloir justifier envers moy de ce que je l’accusois. Mais, estant si certaine de la verité, et ses paroles et ses discours m’esmouvoient plus tost au despit qu’à l’amour. Depuis (car alors, voyant qu’il ne cessoit de parler, je le laissay tout en colere) il fit en sorte qu’un matin il me surprit que je n’estois point encore du tout habillée, et que, de fortune, il n’y avoit dans la chambre que Carlis et Stiliane, qui sont, mon pere, ces deux belles filles que vous voyez. Et parce qu’elles estoient fort familieres avec nous, et que mesme elles s’estoient apperceues de ce qui s’estoit passé du temps qu’Euric vivoit, ny luy ni moy ne nous cachions guere d’elles. II se met d’abord à genoux, proteste qu’il ne s’en levera jamais si je ne luy promets de l’escouter patiemment en ses justifications, et qu’apres il veut bien que j’ordonne, et de sa vie, et de son contentement,