Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/544

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car je croyois qu’il fust noyé, l’ayant veu tomber aussi bien que moy dans le fleuve, mais je le fus encores davantage lors que j’ouys l’un de ces pescheurs qui, s’addressant au druide, luy asseura que ç’avoit esté ce jeune homme qui m’avoit mis en l’estat où j’estois, et que non content de m’avoir si mal traicté, il alloit encores cherchant le corps pour le cacher, afin de mieux celer sa meschanceté. Le bon vieillard vouloit parler, lors que l’interrompant, je leur dis : Non, non, mes amis, vous vous trompez, il est innocent, cet escuyer est à moy, et je n’en eus jamais un meilleur ny un plus fidelle ; laissez-le, je vous supplie, en liberté, afin que j’aye le contentement de l’embrasser encores une fois. Ces pauvres gens bien esbahis, voyans que je luy tendois les bras avec tant d’affection, le laisserent venir à moy ; et lors, fondant tout en larmes, il se jette en terre, baise mon lict, et demeure si transporté de joye qu’il ne pouvoit former une parole, mais quand il fut destaché, je l’embrassay aussi cherement que s’il eust esté mon frere. J’avois bien un extreme desir de sçavoir s’il avoit fait le message que je luy avois commandé, et par quel accident il m’avoit esté amené de ceste sorte, mais je n’osay le faire, de peur de descouvrir ce que je voulois tenir secret. Le druide qui estoit sage et discret le recogneut bien, car incontinent apres, feignant de se vouloir enquerir en quelle sorte ils avoient