Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/574

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tué par un mire, qui le saignant au bras, luy avoit coupé la veine, et que son frere Euric recueilloit la succession et le couronne des Visigots. Pourrois-je bien, madame, vous representer combien ces deux accidents me toucherent vivement en l’ame ? Il seroit bien mal-aisé, puis que jamais je ne m’en suis ressouvenu, sans de si cuisans desplaisirs, que je ne croy pas pouvoir quelquefois avoir repos, que dans le profond du tombeau.

Alors tout ce qui me souloit donner quelque allegement, augmentoit plustost mes desplaisirs, me semblant qu’il ne faloit plus rien esperer de bien, puis que cette derniere action ne m’avoit peu rapporter quelque remede. Les lieux solitaires me desplaisoient, parce qu’ils me donnoient la veue de la ville des Tectosages, mes pensées me faisoient mourir, parce que sans cesse elles me representoient l’ingratitude de cette femme. Bref, je me des-plaisois moy-mesme, parce que je l’aimois, ce me sembloit, contre raison, et ne me pouvois empescher de l’aimer.

En cet estat vous pouvez penser, madame, quel je devins, mais aussi quel devois je devenir, ayant tant d’extremes occasions de desplaisirs ! Mes playes, à la verité, d’autant qu’elles estoient fort petites, se guerirent en peu de jours ; mais je devins pasle et deffaict, comme une personne morte, et peu apres je changeay cette pasleur en un