qu’ayant si peu de suite, il n’eust jamais pensé que ce fust Arimant ; et Arimant mesme alloit tellement pensif, et les yeux de sorte arrestez contre terre, qu’il ne le vit point alors qu’il passa aupres de luy. Mais de bonne fortune, celuy qui m’estoit venu trouver de sa part, n’en fit pas de mesme, qui l’ayant bien remarqué, en vint advertir son maistre, luy disant que s’il vouloit, il sçauroit bien au long l’histoire de Cryseide, parce qu’il avoit veu celuy qui desja une fois luy en avoit apporté des nouvelles. – Et que veux-tu, respondit Arimant, que j’en apprenne d’avantage ? N’est-ce pas assez que je sçay qu’elle est morte ?
Et ainsi, sans tourner seulement les yeux, il continua son chemin ; mais ce jeune homme qui estoit assez advisé, et desireux de sçavoir comme j’aurois esté enterrée, et tout le cours de mon histoire, retourna courant vers celuy que j’envoyois, et luy faisant cognoissance, luy demanda des nouvelles de Clarine, et comme elle se portoit depuis la mort de Cryseide. - Cryseide, dit-il, est en vie et se porte bien graces aux dieux. – Cryseide, repliqua l’autre, est en vie ? – Ouy, reprit-il, elle est en vie et m’envoye vers ton maistre. Alors l’embrassant : O messager de bonnes nouvelles, que les dieux, dit-il, te rendent à jamais content ! Suy-moy, je te supplie, au petit pas et j’accourciray ton voyage.
A ce mot, le jeune homme, donnant des esperons à son cheval, cria à son maistre : Arrestez, seigneur, arrestez, que je vous redonne la vie en eschange de la mort