Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/886

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ne puis me plaindre, puis que c’est une loy commune à tous les mortels, si ce n’est que, comme mes yeux et mes desirs se sont eslevez à un subject qui surpasse en merites toutes les œuvres de ses mains, il semble qu’il eust esté raisonnable qu’elle m’eust aussi donné plus de puissance d’aymer, et plus de capacité pour le pouvoir faire plus dignement. Mais ceste sage nature ne l’ayant voulu de ceste sorte, il faut croire que ç’a esté pour quelque grande raison, et peut-estre pour monstrer plus clairement la tres-grande beauté de Diane qui, me contraignant de l’aimer (action à la verité qui est par dessus ce que les hommes peuvent et contre cette reigle d’égalité que vous proposez, Phillis, devoir estre entre ceux à qui il est permis de s’entr’aymer), fait voir sa grandeur par les effects, puis que la force doit estre tres-grande, qui esleve quelque chose par dessus les loix que la nature luy a imposées.

Doncques, bergere, si vous n’estes jalouse de la gloire de Diane, vous ne devez point treuver mauvais que je l’aime, ny m’accuser d’arrogance, puis que c’est la force de sa beauté qui m’y contraint, et qu’en cela la grandeur de ses perfections se faict mieux cognoistre à tous ceux qui me voyent. Et ne me demandez plus, je vous supplie, comment je l’ose aimer ? J’advoue que j’en suis aussi ignorant que vous, mais cette ignorance ne m’empesche pas que je ne sois le plus perdu