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ques-uns de mon état-major et, pour gagner les bonnes grâces de la meunière, je commence par lui faire rendre son âne.

Ah ! je vois bien tout de suite qu’il ne reste pas grand’chose dans le moulin, les voltigeurs ont passé ici, mais la meunière reconnaissante me fait signe d’attendre et tire d’une cachette deux galettes appétissantes, un quarteron d’œufs et un gros morceau de lard. C’est une maîtresse femme ! En cinq minutes une omelette est confectionnée et nous sommes à table. J’ai trois invités aussi affamés que moi, les autres restent dehors ; pour qu’ils ne se doutent de rien et ne bougonnent pas trop, je parais de temps en temps à la fenêtre avec ma longue-vue, je regarde les progrès de l’attaque de Soult et je donne un ordre quelconque, un aide de camp part au galop et je me remets à table. Quelle satisfaction ! Nous autres, soldats, nous ne savons jamais où nous souperons le soir et si nous souperons, nous devons donc saisir aux cheveux toutes les occasions de nous donner du bien-être.

Le meunier a disparu, la meunière n’a pas eu le temps de se sauver. Elle est vraiment gentille avec ses jupons courts et ses bas rouges. Tout en causant après cette fine omelette qui a dissipé notre mauvaise humeur, je lui pince le menton, et je lui rime un petit impromptu :

Impromptu à la meunière pour la remercier de sa divine omelette.

Le cœur de l’homme et de l’Amant,
Las, tendre Elmire !
Ainsi que moulin moulinant,
Tourne au zéphyre.
L’omelette a si bonne mine,
Son parfum est si séduisant,
La meunière a jambe si fine.
Son sourire est si caressant
Que près d’elJe ici me fixant,
En simple meunier qui mouline,
Du soir au matin l’embrassant,
Je resterai faisant blanche farine !

On est très bien ici, bon air, vue admirable ; en ce moment le paysage est voilé par la fumée, mais, en temps ordinaire, la vue est certainement de toute beauté. Je ne plains pas le meunier !