Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/144

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supérieur à une vingtaine de millions d’années, en dépit des géologues et des naturalistes, et il montrait la vie venant à la terre dès la naissance du soleil, quelle qu’ait été l’origine de cet astre fécondant, soit par le résultat de l’éclatement d’un monde préexistant, soit par celui de la condensation de nébuleuses antérieurement diffuses.

Nous étions sortis de la Royale Institution très émus par les grands problèmes que le savant professeur de Glascow s’était efforcé de résoudre scientifiquement devant son auditoire, et, l’esprit endolori, presque écrasé par l’énormité des chiffres avec lesquels sir William Thompson avait jonglé, nous revenions, silencieux, en un groupe de huit personnages différents, philologues, historiens, journalistes, statisticiens et simples curieux mondains, marchant deux par deux, le long d’Albemarle street et de Piccadilly.

L’un de nous, Edward Lembroke, nous entraîna à souper au Junior Athenæum Club et, dès que le champagne eut dégourdi les cerveaux songeurs, ce fut à qui parlerait de la conférence de sir William Thompson et des destinées futures de l’humanité.

James Wittmore se préoccupa longuement de la prédominance intellectuelle et morale des jeunes continents sur les anciens, vers la fin du siècle prochain. Il laissa entendre que le vieux monde abdiquerait peu à peu son omnipotence et que l’Amérique prendrait la tête du mouvement dans la marche du progrès, tandis que l’Océanie, à peine née d’hier, se développerait superbement, démasquerait ses ambitions et occuperait une des premières places dans le concert universel des peuples. L’Afrique, ajoutait-il, cette Afrique toujours explorée et toujours mystérieuse, dont on découvre à chaque instant des contrées de milliers de milles carrés, conquise, si péniblement à la civilisation, malgré son immense réservoir d’hommes, ne semble pas appelée à jouer un rôle proéminent ; ce sera le grenier d’abondance des autres continents, il se jouera sur son sol, tour à tour envahi par différents peuples, des parties peu décisives. Les masses d’hommes, dans leur violente envie de posséder cette terre vierge, s’y