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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/154

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« Aussitôt cette mise en règle avec la loi, l’auteur parlera son œuvre et la clichera sur des rouleaux enregistreurs et mettra en vente lui-même ses cylindres patentés, qui seront livrés sous enveloppe à la consommation des auditeurs.

« On ne nommera plus, en ce temps assez proche, les hommes de lettres des écrivains, mais plutôt des narrateurs ; le goût du style et des phrases pompeusement parées se perdra peu à peu, mais l’art de la diction prendra des proportions invraisemblables ; il y aura des narrateurs très recherchés pour l’adresse, la sympathie communicative, la chaleur vibrante, la parfaite correction et la ponctuation de leurs voix.

« Les dames ne diront plus, parlant d’un auteur à succès : « J’aime tant sa façon d’écrire ! » Elles soupireront toutes frémissantes : « Oh ! ce diseur a une voix qui pénètre, qui charme, qui émeut ; ses notes graves sont adorables, ses cris d’amours déchirants ; il vous laisse toute brisée d’émotion après l’audition de son œuvre : c’est un ravisseur d’oreille incomparable. »

L’ami James Wittmore m’interrompit : « Et les bibliothèques, qu’en ferez-vous, mon cher ami des livres ? »

« Les bibliothèques deviendront les phonographothèques ou bien les clichéothèques. Elles contiendront sur des étages de petits casiers successifs, les cylindres bien étiquetés des œuvres des génies de l’humanité. Les éditions recherchées seront celles qui auront été autophonographiées par des artistes en vogue : on se disputera, par exemple, le Molière de