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ferrand ne montrent donc point l’héroïsme de dom Poirier et de Caïus-Gracchus Picolet, restés dans la tourmente, courageusement fidèles l’un à son poste. L’autre à ses habitudes : ils ne réapparaissent que de temps à autre dans la vieille bibliothèque des ci-devant bénédictins, lorsqu’ils croient sentir une petite accalmie dans l’atmosphère révolutionnaire.

Justement, ce jour même où la Commune venait d’affecter à la fabrication des poudres les locaux de l’Abbaye non occupés par les prisonniers, ces deux épaves du petit monde littéraire devant 89 vinrent sans s’être donné le mot rendre visite à la vieille bibliothèque pour emprunter quelques livres à leur vieil ami le citoyen Poirier. Tous deux débouchant de la rue Jacob, à cinq minutes d’intervalle, pénétrèrent dans les cours, le chevalier de Valferrand, le nez en l’air en affectant des airs dégagés et guillerets, l’autre la tête basse en faisant le moins de bruit possible pour passer inaperçu. Ils durent louvoyer pour éviter des groupes occupés ça et là dans les cours et entrèrent à la bibliothèque sans avoir lu l’inscription : « Administration des poudres et salpêtres », et sans rien savoir.

— V’la des oiseaux qui marquent mal ! grommela pourtant sur leur passage le chef du poste de sectionnaîres, assis avec quelques-uns de ses hommes sur un banc au soleil. Qu’est-ce qu’ils viennent ficher ici ? Je ne sais pas à quoi pense la Commune, de n’avoir pas encore nettoyé leur bibliothèque… un tas de vieux bouquins sur les manigances des rois et des curés ! Tout ça, je vous dis que c’est des menées d’aristocrates !