Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éblouissement de chairs roses, qu’un rut de peaux mates, de fossettes gracieuses ; qu’une débauche de postures alanguies et enivrantes, qu’une nuée d’amours polissons et rieurs dont les lèvres s’entre-baisaient. — La dépravation de tout un siècle s’étalait dans la lubricité de ces peintures, souriantes de luxure et aimablement vicieuses ; les torses cambrés, lascifs, endiablés émergeaient des cadres, se reflétant dans la grande glace du plafond, tandis que les jambes velues des faunes et des sylvains, nerveusement gonflées d’un priapisme intense, semblaient distiller dans l’air une odeur acre et virulente de bouc qui montait au cerveau.

Il y avait près d’une heure que je me trouvais là, ivre de tant de beautés entrevues, brisé, anéanti, dans un état de prostration impossible à décrire. Le Chevalier de Kerhany jouissait de ma surprise et de mon admiration passive, à force d’être surexcitée : « Eh bien ! jeune homme, me disait-il, eh bien ! mon ami, que dites-vous de mon xviiie siècle ? Ne croyez-vous pas que votre Fragonnard Saphique serait en fort belle compagnie dans mon modeste petit musée ? — Ce n’est pas tout, ajoutait-il, nous allons visiter ma Bibliothèque, qui compte, je le crois, certaines curiosités qui ne manqueront pas d’être de votre goût. — Mais… qu’avez-vous ? — on dirait que vous vous sentez mal ?

Je répondis furtivement, m’excusant de ne pouvoir visiter ce jour-là les livres de mon hôte ; j’invoquai un rendez-vous pressant, et, remerciant le galant Chevalier, je sortis après avoir pris rendez-vous chez lui pour le lendemain à la même heure.

Le fait est que j’éprouvais un violent mal de tête et un malaise