Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/220

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c’était à qui réciterait le plus d’Estrennes, jusqu’à ce que, la mémoire vidée et fourbue, votre Bibliothèque fût mise au pillage.

Vous étiez un vrai démon : et nous bouleversâmes tous les Pâmasses d’antan y nous piquant d n amour-propre, admirant, critiquant, discutant, nous alambiquant l’esprit avec des agaceries à réveiller Tombre de tous nos chers poètes,.

Quelle surprise, dites-moi, lorsque nous entendîmes sonner trois heures du matin ! Nos regards étonnés se croisèrent ; les miens disaient : « Il fait bien froid, il est bien tard, soyez miséricordieuse ! La nuit est sombre ; il me faut vous quitter, petite Baronne, ayez pitié ! » Votre œil était indulgent, et je ne sais trop ce qu’il m’eût répondu, si Manette, lassée d’attendre, ne s’était mise à ronfler dans la pièce voisine.

L’effroyable voyage que je fis, ô ma douce amie, pour regagner mon triste logis de célibataire ! — Jamais amoureux transi ne s’en revint plus chagrin dans ce grand Paris, qui la nuit ne semble dormir que d’un œil — Malgré moi, j’enviais Scarron superbement vêtu de maroquin, Scarron qui revit en livre et que vous aimez, Scarron que vous teniez dans votre main mignonne et qui veillait peut-être à vos côtés, sur les courtines de soie, après avoir bercé votre premier sommeil, tandis que j’allais errant sur ces quais ténébreux, meurtri par la bise, tracassé par mille petits fantômes qui labouraient mon cœur et mon esprit.

Il y a un an, jour pour jour ; mon cœur a fait des économies, souvenez-vous-en !

Si la légende de la Belle au Bois Dormant pouvait être vraisemblable, ce soir premier janvier, vêtu d’un manteau couleur de muraille, je me présenterais chez vous ; — je vous trouverais seule dans votre grand salon Louis XV, — seule devant un bon feu, — seule sur une causeuse, — mais… Mariette aurait congé ; — pour changer les rôles, petite Baronne, j’aurais en main un curieux volume porteur de mon ex libris… Ce serait à votre tour d’en deviner l’auteur et peut-être de manderiez-vous grâce :


Ô belle et charmante Ninon…
À laquelle jamais on ne répondra non !…