que vous comprendrez, à retirer cette relique humaine du ghetto où elle menaçait de pourrir, sinon d’être brutalisée dans l’éternel déménagement des mobiliers de toutes provenances qui s’y trouvaient déposés ; j’attendis donc que le Juif m’apportât les pièces manuscrites dont il m’avait parlé, et quand il m’eut jeté sur une table une brassée de parchemins, jaunis, souillés, à demi mangés par les rats et l’humidité, je glissai au brocanteur un billet de cent marcs qu’il accepta avec d’infinis témoignages de reconnaissance, et je regagnai mon hôtel, emportant avec piété, intérêt et mystère ma funèbre découverte.
L’anecdote, vous le voyez, n’a rien de particulièrement rare dans sa note positive, reprit, après quelques instants, le comte W*** ; un romancier d’imagination, amoureux des broderies littéraires et des mises en scène pathétiques, pourrait peut-être en tirer des effets palpitants et mystérieux, mais j’estime que rien ne vaut la vérité dépouillée de toute la joaillerie du style ; au surplus, comme le remarquait tout à l’heure le général, l’histoire pourrait tirer de mon aventure autant de parti que la fiction, car, d’après les papiers que j’ai inventoriés et lus avec attention, voici quel serait le fragment biographique du gentilhomme qui dut porter fièrement cette admirable tête.
Durant la néfaste guerre de Trente ans qui ravagea si brutalement, si longuement et si profondément le centre de l’empire germanique, des hommes de toutes nationalités prirent du service dans les corps de l’Électeur palatin, dans ceux de Christian IV, de Tilly, de Wallestein, de Gustave-Adolphe et des autres illustres personnages de cette épopée extraordinaire et compliquée, dont Schiller, en historien plus dramatique et pittoresque que vraiment fidèle, nous retrace les exploits, les vicissitudes, les coups de théâtre imprévus et les événements innombrables.
On peut dire que jamais, au cours des temps modernes, on ne vit une conflagration plus générale, plus cruelle et plus sanglante.
Toutes les grandes nations d’Europe apparurent et brillèrent tour à tour sur la scène, et je n’ai pas besoin de vous rappeler que, pour arriver à se reconnaître dans les excessives péripéties de cette guerre monstrueuse, il est devenu nécessaire de la diviser en quatre périodes successives : la période palatine, la période danoise, la période suédoise et la période française qui dure de 1635 à 1648.