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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/249

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et de Hawthorne, et je m’étonne que vous, qui savez si bien donner un charme mystérieux à cet inquiétant problème de la vie et de la mort, ne l’ayez point écrite… — Quel joli titre : le Bandeau de la Momie, « The Mummy’s headband », ou mieux encore : le Bandeau du Roi.

— Vous oubliez le loisir pour faire un tel conte, reprit mon interlocuteur, dans un milieu où la politique est comme le simoun desséchant la pensée créatrice… et puis, voyez-vous, les récits vrais sont plus difficiles à enchâsser dans la griffe d’un style personnel que les fictions que notre imagination nous suggère. C’est trop écrit, comme disent les artistes vis-à-vis d’une chose trop précise à rendre ; il n’y a de beau et de vrai pour le romancier amoureux de sa profession que ce qui n’existe pas.

— Cependant, mon ami, les broderies ne manqueraient pas autour de ces faits positifs. Vous avez le motif principal, mais tout le reste est à créer : le début, la psychologie de votre sportsman, ses états d’âme, ces fameux états d’âme des bourgetisants, puis enfin la conclusion, la réalisation de la prophétie d’outre-tombe…

— Mais elle existe, Dear fellow cette conclusion, et elle est aussi « coup de théâtre » que tout ce que je pourrais combiner. Elle mérite de votre part quelques minutes d’attention, incurieux que vous êtes ; j’en tiens le récit de William Magrin en personne ; il est simple, terrible, concis ; écoutez-le :

Après la découverte du tombeau du roi Na-Lou-Pa, Robert Magrin abandonna la conquête des hypogées ; il licencia ses ouvriers et reprit la vie errante. L’Égypte, qui déjà l’avait ensorcelé, en le lançant dans des aventures archéologiques contraires à son tempérament de bas de cuir, de vrai trappeur indomptable, cette vieille Égypte devait de nouveau le métamorphoser en amoureux, lui pour qui la femme n’avait jamais été jusque-là qu’un simple passe-temps hygiénique.

En remontant le Nil aux environs de Louqsor, il rencontra sur le bateau la Circé qui devait faire capituler son cœur ; c’était une jeune Américaine, fille d’un sénateur du Colorado, une de ces créatures exquises et volontaires qui jettent le lazzo de leur dévolu autour du cou d’un homme et qui ne le lâchent plus qu’il ne les ait conduites au pied des autels. La petite Yankee trouva dans Robert Magrin l’homme